Je n’ai jamais eu l’intention de juger votre courage, de juger votre cœur. Où en aurais-je pris, de qui en aurais-je reçu le mandat. De qui tiendrais-je mon pouvoir. Qui m’aurait signé mes pouvoirs. Où en aurais-je pris, de qui en aurais-je le droit. Je suis trop chrétien, Halévy vous le savez mieux que personne, pour n’avoir pas une horreur invincible du jugement, une peur, une horreur de juger, une sorte d’horreur pour ainsi dire physique insurmontable. Ne jugez pas afin que vous ne soyez pas jugés, c’est l’une des paroles les plus redoutables qui aient été prononcées, l’une de celles qui me sont partout présentes. À vrai dire elle ne me quitte pas. Le judicium, c’est mon ennemi, mon aversion, mon horreur. J’ai une telle horreur du jugement que j’aimerais mieux condamner un homme que de le juger. Je n’ai jamais eu l’intention de comparer votre courage et le mien. Je veux croire que nous avons sensiblement le même, appartenant sensiblement à la même classe de mobilisation de la même armée française. Comparer votre courage, comparer le mien, où serait ma norme, où ma règle, où le niveau de nos vies. Nous parlons toujours de la guerre, qui est la grande mesure du courage ; j’entends la grande mesure temporelle, peut-être la seule, mais ni vous ni moi ne l’avons jamais faite. Nous avons failli la faire. Plusieurs fois. Dans ces alertes nous faisions la même contenance. Nous levions la même tête. Dans cette alerte notamment, dans cette alarme de 1905 nous partions du même pied. Déjà nous n’étions plus l’un et l’autre des jeunes hommes dans des vieux régiments, nous étions des vieux hommes dans des jeunes régiments. Pourtant. Avec notre air de ne pas y toucher, vous savez que c’était le cri unanime du