Page:Peguy oeuvres completes 05.djvu/103

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ment peux-tu les aimer. D’une amour mentie, d’une amour trahie et qui se trahit soi-même, qui se trahit perpétuellement soi-même, d’une amour faussée. Toute droiture est gauche désormais, toute droiture est gauchie à présent. Tu mens par le son de ta voix. Tu mens par le regard de tes yeux. Tout s’est à jamais faussé dans ton âme. Et tout s’est à jamais faussé dans ta vie : faussée l’amour filiale et faussée l’amour fraternelle ; l’amour filiale, le premier des biens ; après les biens de Dieu ; dans les biens de Dieu ; l’amour fraternelle, le premier des biens ; après les biens de Dieu ; dans les biens de Dieu ; l’amitié, le premier des biens ; après les biens de Dieu ; dans les biens de Dieu ; faussée l’amitié ; faussées tes amours familiales ; faussées tes amours amicales, faussées tes amitiés ; faussées tous tes sentiments : Ta vie tout entière est menteuse et fausse. Et tu vis dans ta maison, parmi les tiens, et tu te sens plus irréparablement seule et malheureuse qu’une enfant sans mère.

Un grand silence.

Un espoir te restait. Tu venais sur tes douze ans. Dans cette grande détresse tu attendais au moins, tu te disais qu’elle finirait bientôt, car tu approchais de la communication du corps de Notre-Seigneur, tu touchais à la communication du corps de Notre-Seigneur, et la communication du corps de Notre-Seigneur guérit tous les maux.

Un grand silence.

L’heure est venue, l’heure attendue ; l’heure attendue, l’heure préparée de toute éternité.