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DE LA DEUXIÈME VERTU
Et dans le sommeil c’est moi qui me glorifie moi-même par l’abandonnement de l’homme.

Et c’est plus sûr, je sais mieux m’y prendre.

Nuit tu es pour l’homme une nourriture plus nourrissante que le pain et le vin.

Car celui qui mange et boit, s’il ne dort pas, sa nourriture ne lui profite pas.

Et lui aigrit, et lui tourne sur le cœur.
Mais s’il dort le pain et le vin deviennent sa chair et son sang.
Pour travailler. Pour prier. Pour dormir.
Nuit tu es la seule qui panses les blessures.
Les cœurs endoloris. Tout démanchés. Tout démembrés.

Ô ma fille aux yeux noirs, la seule de mes filles qui sois, qui puisses te dire ma complice.

Qui sois complice avec moi, car toi et moi, moi par toi
Ensemble nous faisons tomber l’homme dans le piège de mes bras
Et nous le prenons un peu par une surprise.
Mais on le prend comme on peut. Si quelqu’un le sait, c’est moi.
Nuit tu es une belle invention
De ma sagesse.
Nuit ô ma fille la Nuit ô ma fille silencieuse
Au puits de Rébecca, au puits de la Samaritaine
C’est toi qui puises l’eau la plus profonde
Dans le puits le plus profond
Ô nuit qui berces toutes les créatures
Dans un sommeil réparateur.
Ô nuit qui laves toutes les blessures
Dans la seule eau fraîche et dans la seule eau profonde
Au puits de Rébecca tirée du puits le plus profond.