Page:Peguy oeuvres completes 13.djvu/147

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Il ne faut rien prendre au tragique. Si je prenais au sérieux ce petit billet du matin, il serait plein des plus grossières injures pour moi et des plus basses grossièretés et d’un ton absolument insupportable. M. Reinach (par exemple) commence par m’y appeler l’ami Péguy. Je n’aime pas, qu’on m’appelle l’ami Péguy. Vous non plus. Je me méfie. Je me demande ce que j’ai commis pour mériter cette familiarité. Et puis en français l’ami Péguy ne veut généralement pas dire le Péguy ami. Au contraire. Aussi j’aimerais mieux qu’on dise : l’ennemi Péguy. Comme ça on saurait ce qu’on veut dire, et on serait sensiblement plus près de la vérité.

Vais-je faire état d’un billet écrit au courant de la plume, et sur le coup d’un communiqué. Vais-je me mettre martel en tête. Ai-je le droit d’en connaître, bien que la lettre que l’abonné écrit à son directeur de revue soit toujours un peu en un certain sens une lettre publique et non pas seulement privée et presque par suite une lettre publiable. (Allons, allons, mon pauvre monsieur Laudet, nous n’aurons pas la paix aujourd’hui avec ce public, et ce privé, et ce publiable). Ce qui accroît mon embarras, et en même temps le fait tomber, c’est que toutes ces injures extrêmes et grossièretés sont pour ainsi dire si visiblement innocentes et en quelque sorte bienveillantes et presque paternelles ou du moins avunculaires ou enfin amicales et camarades que j’en demeure vraiment fort embarrassé.

Mettons-nous à la place de M. Reinach. Quand j’ai commencé, comme on dit, enfin quand j’avais vingt ans, il avait précisément l’âge que j’ai aujourd’hui, il