Page:Peguy oeuvres completes 13.djvu/175

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par contre notre thèse est qu’il y a une certaine incapacité d’écrire, une sorte de certaine malpropreté d’écriture qui dé(ha)bilite un homme pour les hommes et pour les œuvres de l’écriture. Que ça ne trompe pas, que c’est incurable, et qu’un homme qui a une fois commis une phrase comme cette phrase de M. Rudler, un vers de Racine ou un vers de Ronsard ne lui sonnera jamais dans la tête. Après ça il peut avoir deux cent cinquante et une mille fiches. Nous nous en foutons, de ses fiches. Nous en avons assez de ces petits dominateurs qui prétendent faire l’histoire d’une réalité sans entendre à cette réalité. L’homme qui se joue dans ses métaphores comme un tardigrade, l’homme qui est tardigrade restera tardigrade.

Même jour, le soir. — Je me rends bien compte de tout ce qu’il y a de bas à relever toutes ces bassesses, et la haine et l’envie et l’ordure et la honte. Ce n’est pas sans une tristesse elle-même incurable et sans une amertume, ce n’est pas sans un serrement de cœur, sans une angoisse, sans un discrédit et une déconsidération de soi, sans un sentiment d’un avilissement à ses propres yeux qu’on engage la conversation avec ces gens. On a le sentiment d’une grande diminution. On n’a jamais la connaissance, d’avance, de l’épreuve. On ne prévoit jamais comme sera, quelle sera l’épreuve. Je croyais avoir l’expérience de la vie. Je croyais que ma procession pourrait se dérouler sans avanie ; qu’elle pourrait se dérouler innocemment devant un public innocent ; innocemment comme elle était conçue ; innocente devant un public innocent, pure devant un public pur. Je me trompais. Mais quand quelques mauvais