Page:Peguy oeuvres completes 13.djvu/231

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comprendront, si j’ai encore le droit, si nous avons encore le droit de nous servir de ce nom, de ce mot de bergsoniens. L’opération a été beaucoup plus spontanée, beaucoup plus organique, et ainsi en outre elle a été contraire. C’est au contraire la présence de Lotte et du Bulletin qui a fait germer en moi instantanément l’idée, la forme, déjà la teneur d’un communiqué. C’est cette obscure, cette secrète présence de fidélité qui a tout suscité instantanément.

Assailli d’un assaut aussi inattendu, atteint aussi profondément que je l’ai dit et qu’on peut le penser, évidemment je jetai un seul regard autour de moi, et dans ce seul regard instantanément le Bulletin était à sa place.

Je vais plus loin et en réalité j’ai fait en somme l’opération suivante. Tout homme sur le tranchant du sort a fait cette opération. Atteint, assailli aussi profondément, instantanément je repassai ma vie. Dans un éclair d’un seul regard je vis ces embarras de vingt ans. Et suivant l’autre ligne, celle qui n’a pas été inscrite historiquement, dans ce regard je me suis représenté l’autre Péguy, le Péguy allégé de tant de charges publiques, le Péguy que je devenais si je n’avais point assumé à vingt ans tant de charges et de responsabilités publiques. Or il est certain, et il était pour moi d’une évidence éclatante, que la ligne que j’aurais suivie est précisément celle qu’a suivie Lotte. J’enseignerais aujourd’hui la philosophie dans quelque lycée de province. Comme il enseigne la grammaire. Dans quelque Coutances. J’exercerais ce métier d’enseigner, un des plus beaux, le plus beau peut-être qu’il y ait, que j’aime passionnément. Je serais attaché passionnément à mon