Page:Peguy oeuvres completes 13.djvu/72

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un texte, j’entends un texte authentique, un procès, une chronique, il est évident que ces saints, à peine signalés, vivaient sous le regard du peuple. Le peuple avait tellement soif d’en avoir, le peuple chrétien, tellement soif d’en trouver. Aussi dès qu’une âme un peu émergente était confusément signalée, averti par un secret instinct, si profond, de troupeau qui cherche son pasteur, tout le peuple chrétien se serrait autour du saint qui venait. Le peuple attendait le saint. Le saint qui montait montait dès lors, vivait dès lors sous le regard de tout un peuple, sous une sorte de surveillance de dulie. Cela est particulièrement sensible dans toute l’histoire de l’avènement de Jeanne d’Arc ; et aussi, bien que moins apparemment, dans toute l’histoire de son règne, et de sa contestation, et de son martyre, et de sa captivité. C’était une enquête chrétienne continuelle, une publicité perpétuelle, une sorte de jugement commun public latent ambiant anticipant les jugements en forme, anticipant, escomptant le jugement dernier même.

§ 132. — Le saint vivait, comme tel, sous le regard de tous. Une immense attente, une immense attention de communion était sur lui. Le saint tout entier appartenait à tous. Omnibus totus. Tout à tous. Dans ces âges d’une certaine rudesse il y avait même dans le peuple chrétien une certaine gloutonnerie de sainteté. Non pas seulement un certain appétit. Dans les chroniques, dans les textes authentiques le peuple nous paraît souvent brutaliser les saints, (comme ensuite il en brutalisait les reliques), pour en retirer pour ainsi dire de force l’efficace.