Page:Peguy oeuvres completes 13.djvu/76

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gros, sont nourris d’hommes privés, et retentissent indéfiniment pour ainsi dire en hommes privés. Et réciproquement tous ces témoins qui vinrent, qui furent appelés de Domremy à Paris ou à Rouen au Procès de Réhabilitation ou à Reims, qu’étaient-ils que des petites gens, des pauvres, des gens privés, non publics, qu’une sorte de grande vocation brusque, une vocation d’ensemble, entraînait tout à coup à faire, à constituer la plus grande action publique, la plus grande opération, la plus grande œuvre publique. Une telle, femme Un tel ; une telle, femme un tel, y a-t-il rien de plus saisissant, et vraiment de plus angoissant, que ce défilé de petites gens, que ce chapelet de pauvres et d’ignorants, — (mais ils savent la plus grande science, car ils ont été témoins du plus grand fait), — qui au Procès de Réhabilitation viennent innocemment apporter leur pierre au plus grand monument public, au plus grand monument de l’histoire. Pour moi je ne sais rien de si poignant au monde que les pauvres témoignages, ou plutôt que les témoignages pauvres de ces femmes qui se suivent comme à la procession, une telle, femme une telle, née une telle, de la paroisse de Domremy, les femmes de son âge, si elle avait vécu, qui l’avaient connue petite fille, qui avaient joué avec elle, qui l’avaient vu partir et qui viennent témoigner, apporter ici des histoires non pas seulement au tribunal de l’histoire et du public, mais au tribunal du mystique, à un tribunal d’Église, au tribunal même de Dieu, sous la foi d’un serment sacré, aussi innocemment, aussi obscurément, aussi ignoramment comme elles témoigneraient sur le pas de leur porte, comme elles raconteraient des histoires au vieux curé du village.