Page:Peguy oeuvres completes 13.djvu/78

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l’impression de ne toucher le fond que quand nous touchons le peuple. Le reste est deuxième. Le peuple seul est premier. Nous ne voulons tenir l’épopée républicaine et impériale pour une épopée authentique que si nous avons les mémoires du capitaine, le témoignage du simple soldat. Ceci pour les héros. Et voici pour les saints. Alors seulement nous nous sentons rassurés. Alors seulement nous croyons que c’est du vrai, plus rigoureusement que c’est du réel. Alors seulement nous en voulons. Nous en voulons bien. Le peuple seul est la terre profonde. Le peuple seul témoigne. Pareillement pour les saints, parallèlement pour les saints nous ne nous sentons rassurés, nous n’en voulons bien, nous n’en voulons que quand ils sortent du peuple et nous sont apportés par le peuple, quand le peuple est là, quand le peuple témoigne, quand le peuple en répond, quand cette vieille femme, qui est mariée, qui a quatre enfants, vient à la barre et dit : Je l’ai bien connue quand elle était petite, avant qu’elle aye quitté le pays. Elle était comme ci, comme ça. Tous les dimanches matins elle allait à la messe. Alors nous la prenons. Alors nous disons : Ça y est. Nous l’avons. Nous y sommes. Nous rions d’avoir enfin un texte. Nous rions de sécurité. Nous voulons que le peuple soit dans le tissu même, dans la texture. Les docteurs n’ont pas seulement la mémoire longue, les docteurs nous inspirent une confiance si modérée qu’aussi longtemps que nous voyageons en leur seule compagnie nous avons cette impression, à laquelle nous avons beau faire, que nous faisons un voyage imaginaire, cette impression de fouler un sol imaginaire. Le peuple seul nous rend la terre. La Sorbonne scholastique à cet égard vaut la Sorbonne sociologique.