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le vice suprême

mous et bas des décadences ; elle heurta sa nonchalance aux lignes droites, au bois dur, aux formes architectoniques de ce mobilier de la Renaissance qui pousse à l’action par son inaptitude aux alanguisements de la rêverie.

L’entour de ce grandiose la fit précocement grave.

Le croquemitaine dont sa bonne, une Transtevérine aux yeux de buffle, lui fit peur, fut cet Hercule de Baccio Bandirelli qui terrasse Cacus au seuil du palais du grand duc. Au moucharaby du même palais, elle trouva son premier livre d’images. De sa fenêtre, elle s’amusait de la colombe d’argent rayonnée d’or, des dragons de sinople, des taureaux de sable, des licornes et des lions d’or. Quand on lui eut dit les noms des quartiers qui correspondaient à ces gonfanons, aux brillants émaux, elle s’émerveilla de ces armoiries parlantes, rébus décoratifs.

À dix ans, le duc l’emmena avec lui dans les salons de Florence où l’étrangeté de sa beauté rousse lui valut cet accueil enthousiaste que l’on fait aux enfants précoces. Un soir, chez le vieux Strozzi, le peintre Majano parlait de son prochain tableau commandé par la municipalité : la ville tenant l’étendard du peuple : «  de gueules au lys au naturel, » dit-il.

— « No, signor, » interrompit la petite princesse, « le blason de la ville c’est une croix rouge sur de l’argent. »

On se regarda étonné, Strozzi plus que tous. Il attira l’enfant sur ses genoux.

— « Comment sais-tu cela, princesse ? »

— « Je les sais tous, » fit-elle, et substituant son parler enfantin aux termes héraldiques, elle dit : « la colombe dans du ciel, les coquilles dorées, les fouets noirs, les bêtes vertes, les chevaux avec une corne au front ; enfin, en commençant par la gauche, les seize gonfanons des quatre quartiers de Florence. »

Strozzi l’avait écoutée, les yeux brillants de larmes retenues, il l’embrassa avec une vive émotion. Ce curieux hasard eut l’importance et la proportion d’un