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le vice suprême

trios premiers chants de la Divine Comédie, il les lui fit apprendre par cœur, simultanément. L’enfant d’abord se refusa à cette aridité ; mais à propos de chaque mot il entrait en de si merveilleuses digressions et s’ingéniait si bien à la rendre curieuse de ce qui suivait, que pour entendre ce commentaire qui parlait de tout, elle sut bientôt les trois versions.

Il lui lut alors les grammaires, lui faisant retrouver les règles dans les textes qu’elle savait. À chaque leçon Leonora s’étirait, l’esprit paresseux ; Sarkis n’insistait pas ; et partant d’un nom, il ne tarissait plus d’anecdotes, et son écolière revenait d’elle-même à la leçon, reconnaissante de si grands frais d’imagination et de mémoire. Il s’adressa surtout à son orgueil, affectant de la traiter d’Altesse, et toujours en grande et raisonnable personne.

Il avait raison de ses fainéantises et de ses bâillements, en lui répétant : « Vous voulez donc que le premier homme venu puisse se croire supérieur à vous ? Car, qu’avons-nous de plus que la femme ? la science, rien de plus. » Cet argument était toujours victorieux.

Deux ans après l’arrivée de Sarkis au palais, Leonora traduisait Sophocle et Tacite. Le français seul la rebutait :

— « Vous habiterez probablement Paris un jour, comme toutes les Altesses sans royaume ; voulez-vous donc que les Parisiens, qui sont railleurs, se moquent de la mauvaise diction d’une d’Este ? » Et pour aider à l’effet de ce dire, il lui traduisait Balzac, ayant soin de s’arrêter fréquemment et de sauter des passages ?

— « Pourquoi vous arrêtez-vous, Sarkis ? » — « Parce que cela n’est point convenable ! »

Leonora priait, s’impatientait. — « Lisez-le vous-même, Altesse, si vous y tenez. »

Elle sut bientôt le français comme une Française, pour lire les passages qui n’étaient pas conve-