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le vice suprême

un bas-relief, une médaille, un dessin, il entrait en de grands détails sur la toilette des femmes d’alors, leurs artifices de coquetterie, et Leonora redevenait attentive.

Comme récréation, c’était encore Sarkis qui la promenait. Il n’eut qu’à repasser de nettes lignes sur les traits ressentis et confus que les tirades de Strozzi avaient laissés dans cette tête d’enfant ; mais tandis que le patriarche florentin avait montré à Leonora, la Florence gibeline et guelfe, les drames de l’ambition et de la rue, il l’initia à la Florence des musées et des églises, à la Florence sereine de l’art. C’étaient des stations prolongées devant les portes du Baptistère ou les statues d’Or San Michele, des visites presque quotidiennes à la chapelle Médicis, aux Uffizi, à Pitli, au Bargello ; Sarkis, infatigable explicateur du sujet, passait à la vie du peintre et à celle du temps. Le dimanche, il la conduisait à la messe, changeant souvent d’église, et la messe entendue, lui faisait tout voir du bénitier du porche à la prédelle des chapelles obscures.

— « Une princesse italienne doit savoir dessiner, » répétait Sarkis. Un jour qu’il écrivait dans la bibliothèque, la voix claire de Leonora cria ce nom qui l’amusait par son exotisme : « Sarkis ! » et quand il fut là, elle lui tendit un croquis maladroit où il était reconnaissable et méchamment caricaturisé. Sitôt, il se mit en quête d’un professeur de dessin et découvrit un copiste maniaque, qui son pain de la semaine gagné à reproduire la Vision d’Ézéchiel, se mettait devant un fac-similé du Vinci et le copiait avec extase. Bojo se présenta à la jeune princesse avec un album où étaient réunies toutes les caricatures du peintre de Modestie et Vanité. Leonora, avec des exclamations ravies, tournait lentement ces feuillets où le masque humain s’abrutit en museau, en mufle, en groin, en trogne. Vers la fin, elle ne s’exclama plus, faisant la moue, Bojo avait essayé semblablement de faire grimacer des visages ; mais plus enthousiaste