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le vice suprême

jeunes filles de Greuze, admirait charnellement la force, aimant le David et l’Hercule ; Leonora préférait l’éphébique Persée. Ces sympathies encore instinctives prédisaient le principe qui dominerait sa vie.

Les œuvres d’art où la femme triomphe de l’homme l’attiraient invinciblement. À Pitti, à la Loggia, la Judith d’Allori et celle de Bandinelli l’arrêtaient dans une contemplation souriante et réfléchie.

Malgré ces prémisses d’insensibilité le sang de la jeunesse fermentait dans ses veines et les battements de ses artères en donnaient à son cœur. C’était l’heure où, à la jeune fille presque femme, l’idéal apparaît dans une resplendissante gloire, où la chimère passe la fixant de ses irrésistibles yeux de diamant : et c’était la chimère qu’elle guettait pendant les nuits, et c’était sa nerveuse croupe qu’en pensée, elle caressait jusqu’au matin.

L’invincible loi d’amour la clouait là, au serein, au froid, à la fatigue. Ses regards fouillaient les ténèbres ; son oreille interrogeait les bruits ; elle se penchait sur la place, toussant, faisant des gestes qui semblaient des signaux et l’envoi de baisers. Elle eût appelé ; mais elle ne savait pas le nom de celui qui était son souci, son attente, son désir : le Bien-Aimé.

Un de ces jeunes seigneurs très pâles et fiers qui caressent d’une main de femme le lourd pommeau d’une épée, aux murs du palais Pitti. Son désir le lui faisait voir, mince dans son justaucorps noir ; sa corde barbe en deux pointes, plus soyeuse que les plumes de sa toque ; ses lèvres trop rouges comme humides de sang : dans les yeux un éclair troublant ; les molettes de ses éperons scintillantes comme des étoiles ; la lune faisant luire son coller qu’elle eût voulu remplacer par ses bras.

Il devait venir certainement, par le Long’Arno, au pied du palais ; il lui chanterait d’admirables canzones ; elle lui jetterait la fleur de ses cheveux. Et quand