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Page:Peladan - Etudes passionnelles de décadence, 1884.djvu/62

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le vice suprême

Une attaque d’apoplexie le coucha sur son lit, d’où il ne devait plus se relever. Il fit appeler Leonora.

— « Mon enfant… » lui dit-il, « je n’ai plus beaucoup d’heures à vivre… Je vous aurais ramenée à Dieu… Il me rappelle à lui sans m’en laisser le temps. Que sa volonté s’accomplisse… Je prévois, et cela attriste ma mort… que vous ferez beaucoup de mal… Vous croyez…, mais d’une foi sans œuvre, et vous n’avez pas de charité : or, la charité c’est tout. N. S. ne s’est attribué ni le génie, ni la domination ; il n’a prétendu qu’à la seule charité ; c’est par là qu’il a conquis les âmes ; c’est par là qu’on conquiert le ciel. …Écoutez-moi : j’ai repensé tout ce qu’on avait pensé d’élevé avant moi ; et je vous le dis : nous ne sommes en ce monde que pour mériter celui dans lequel je serai bientôt ! Eh bien ! il est une vertu que j’exige de vous, et votre orgueil vous la rendra facile… Votre tête péchera assez, hélas ! que votre corps du moins soit sans péché. »

Et le saint prêtre, artiste jusque dans le sacerdoce et jusque dans l’agonie, magnifiquement aveuglé par son amour du beau, s’écria : « Tuez la chair, et Dieu pardonnera peut-être à l’esprit. Il vaut mieux l’orgueilleuse pensée de Faust qui veut ravir à Dieu le secret de la vie, que Don Juan qui tombe à la brute. L’idéal, c’est la continence, c’est la chasteté. »

Épuisé par cet effort, il bénit la princesse et la congédia d’un geste d’adieu, le viatique entrait.