Page:Peladan - Etudes passionnelles de décadence, 1884.djvu/90

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
56
le vice suprême

blime et au vulgaire, vous êtes bien une vivante allégorie de la décadence latine. »

— « Vraiment ! » répondait la princesse, « je ne puis me prendre ni aux rêves, ni aux réalités. L’art, oui, si j’avais du génie, mais Warke n’a fait de moi qu’une exécutante et Bojo qu’une Bolonaise. Quant à l’ambition, qui est moins basse que l’amour, voyez le César moderne à Saint-Yuste et Nabuchodonosor lycanthrope. Pour l’amour, c’est une création de la poésie, un symbole du désir humain… »

À certaines heures, un furieux agacement lui venait d’être prise dans cet engrenage mondain : existence de cheval de manège, de ara sur son perchoir, de paon qui roue, de chatte qui se lèche, de cabotine qui se déshabille, À un lunch de Mme de Chessy, elle disait :

— « Qu’est-ce qu’une femme du monde comme nous, mesdames ? Une courtisane sans alcôve ! »

Et comme on protestait :

— « Le métier est le même : plaire aux hommes, et plaire aux hommes, qu’est-ce ? »

— « Ce qu’une femme seule peut dire, » répondit M. de Chaumontel.

— « Je prétends, » reprit-elle, amusée du scandale qu’elle causait, « que nos épaules ont causé des syphilis. »

On s’effaroucha.

— « La peur de certains mots c’est là votre vertu ? » fit-elle. « Ce qui vaut la peine d’être fait vaut la peine d’être bien fait et la coquetterie qui n’est pas perverse est bien près d’être ennuyeuse. Protestez, hypocrites auditrices, mes semblables, mes sœurs ; quand on est d’Este, on peut tout faire, partant tout dire. À quoi servirait donc d’être au sommet de la hiérarchie sociale, si l’on était tenu de mesurer ses termes comme une bourgeoise. Le vice d’une princesse est déjà autre chose que du vice, et lorsqu’elle n’en a pas, Paris et le siècle doivent la remercier à genoux de ce que son caprice ne soit pas