Page:Pelletan – Le Droit de parler, 1862.pdf/11

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


III


Chacun de nous pense sans doute, mais ne pense pas également ; car, pour le plus grand nombre, il faut vivre avant de réfléchir : vivre, autrement dit, travailler, labourer, naviguer, forger, tisser, vendre, acheter, toute chose qui prend à peu près toute la journée du travailleur et ne lui laisse guère de loisir pour l’étude.

Mais à côté, mais au-dessus de la masse ténébreuse, courbée sur son métier du matin au soir, il y a, il doit y avoir du moins une élite pensante, rachetée de l’obligation du travail manuel et préposée en quelque sorte à l’administration de l’intelligence.

D’où vient cette classe ? qui la nomme ? Est-ce la faveur ? Non. Est-ce la naissance ? Non plus. C’est une voix d’en haut, ou, si vous aimez mieux, c’est la vocation. Quiconque met la main là et y sent quelque chose sort de la foule et prend la parole. On a nommé ce volontaire de l’inspiration de bien des noms dans le passé ; depuis l’invention de l’imprimerie on le nomme l’écrivain.

Qu’on le veuille ou qu’on le nie, c’est l’écrivain qui représente le génie d’un peuple, c’est lui qui en élève sans cesse l’intelligence, c’est lui qui dirige moralement la société, qui la réforme, qui la transforme, qui l’achemine de progrès en progrès, et dégage de siècle en