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la civilisation, c’est l’écrivain. Retirez l’écrivain à la France, vous n’avez plus la France, vous n’avez que la Russie. La Russie, sans doute, peut encore compter sur le champ de bataille ; elle n’a qu’à prendre un butor approvisionné d’un certain instinct, et peut-être elle aura un nouveau Souwarow ; mais pour avoir étouffé chez elle le droit d’écrire, elle brille dans sa neige d’un génie plus pâle encore que son pâle soleil.

Ainsi, Monsieur, plus l’écrivain tient de place dans la société, et plus il élève la société à sa hauteur. Prenez le comme vous voudrez, mais c’est le cri de ma conscience. On nous traite assez durement pour nous rendre le droit de l’orgueil.


IV


La réalité, hélas ! ne nous ramène que trop brusquement à la modestie. Elle nous dit en effet : Écrivez et mourez, et si vous avez fait preuve de talent, peut-être bien que, dans un siècle, vous aurez quelque part une statue ; mais écrivez et vivez, et vous apprendrez, à votre corps défendant, qu’un esprit de défiance regarde la profession de la pensée comme une industrie dangereuse, et la condamne à l’éventualité de la prison.

Mais pourquoi demander compte à l’écrivain de sa croyance ? Est-ce qu’il croit, est-ce qu’il dit ce qu’il veut, comme il le veut ? La fonction serait trop commode en conscience ; il ferait route alors par tous les