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repassé son don de création et lui avait dit : Achève-toi toi-même.

L’homme pensait ; il pensa, et il tira successivement de son cerveau sa fourrure, sa nourriture, la mécanique, l’architecture, l’industrie, le commerce, la législation ; en un mot tout le complément de son existence et tout le mobilier de la civilisation, cette magnifique revanche de l’humanité contre la nature.

La nature opprimait l’homme au début, mais l’homme a changé de rôle avec elle et l’a réduite à la domesticité. Vous voyez, Monsieur, qu’on a mauvaise grâce à dire qu’il n’est pas né pour la liberté, puisque tout ce qu’il a fait dans le passé il l’a fait pour échapper à la servitude du besoin, par conséquent, pour acquérir une liberté ; puisque son habit est un article de cette charte constitutionnelle, sa maison un autre article, et la législation, enfin, tout entière une liberté suprême destinée à garantir ces diverses libertés contre le coup de main des voleurs.

L’homme a donc l’obligation rigoureuse de penser : qu’il cesse de penser, et il meurt ; de son vivant même il meurt partiellement en raison de toute diminution de pensée. Mais qui dit penser dit parler, car le même mot, dans toute langue, a toujours identifié la raison à la parole : logos en Grèce, verbum ailleurs. Je vous demande pardon de vous parler grec et latin.

Ainsi, l’homme ne pense qu’à la condition de parler, c’est-à-dire de mettre sa pensée en commun, et de la transmettre par l’écriture. Grâce à la parole écrite, la terre tout entière ne forme qu’une patrie : la patrie de l’intelligence. Partout où un penseur médite, n’im-