Page:Pelletan - La Semaine de Mai.djvu/16

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Non, ce n’était pas la France qu’on pouvait reconnaître, ni dans les foules, qui, d’un côté, incendiaient nos monuments, ou demandaient l’exécution des otages, ni dans les foules qui, d’autre part, insultaient les prisonniers, multipliaient les dénonciations, excitaient les troupes au massacre, ni dans l’armée qui frappait sans voir ni sans connaître, au hasard du chassepot, ni dans le gouvernement qui se faisait refuser par toute l’Europe monarchique l’extradition des proscrits, ni dans l’Assemblée qui, voyant Paris mis à feu et à sang, quarante mille prisonniers grelottant dans la boue, sous les mitrailleuses, la terre trop pleine revomissant les cadavres, tant de Français pourrissant en tas dans les rues qu’on a craint la peste, se réunissait dans un vote solennel d’actions de grâces !

Non, ce n’était pas la France ; c’était une nation ivre de malheur, aveuglée de sang, brûlant de la fièvre de ses blessures. Et qu’étaient donc les soldats de cette Commune qui laissa dans Paris tant de ruines fumantes, sinon, pour une bonne part, des travailleurs paisibles jusque-là, et qui ont formé, au delà de nos frontières, des colonies de proscrits estimés ?

Qu’étaient donc ces troupes qui firent dans Paris un si épouvantable massacre, sinon, pour une notable fraction, les mêmes qui, au 18 mars, recevant l’ordre de tirer sur le peuple, fraternisèrent avec lui ?

Pendant la guerre civile, nous étions de ceux dont l’unique pensée était d’arrêter cette lutte fratricide. Nous ne trouvons, ni dans nos sentiments ni dans notre passé, rien qui puisse nous donner intérêt à forcer la vérité dans un sens ou dans l’autre par une de ces complaisances inconscientes de l’esprit dont les plus scrupuleux et les plus attentifs ont peine à se garantir, quand ils apportent un parti pris dans l’étude des faits.