Page:Pelletan - Le Monde marche.djvu/199

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petit, et je vous demande à vous-même de bonne foi si l’œil du sculpteur, si l’œil du peintre qui saisit dans la nature la plus fugitive inflexion de ligne, la plus légère intonation de couleur, et la reporte géométriquement, exactement à l’argile ou à la toile, possède oui ou non une supériorité de perception sur le regard obtus du sauvage dans l’ordre, du moins, de la beauté ?

L’organe de l’ouïe, ensuite, puisque l’homme a créé, sous l’inspiration du progrès, tout un monde nouveau de sensation appelé la musique, qui suppose une éducation raffinée et une métamorphose progressive de la faculté de l’audition. Car le musicien perçoit non-seulement la succession des sons comme dans la mélodie, mais encore la simultanéité comme dans l’harmonie, de sorte qu’assis au centre de l’orchestre, il embrasse et distingue à la fois dans la même seconde et dans la même sensation toutes les voix de tous les instruments ; si, par hasard, une note fausse vient à glisser quelque part sous l’archet, il peut la signaler ou la corriger à l’instant dans sa pensée. Il y aurait témérité à dire aujourd’hui que l’oreille de Mozart, inondée de la divine volupté d’une symphonie, vibre exactement de la même vibration ni plus ni moins que le tympan du Pelasge, véritable entonnoir à engouffrer le bruit, voilà tout, sans jamais pouvoir mesurer le son et le soumettre à la loi d’harmonie.

L’organe de la main, en troisième lieu, puisque l’homme a créé pour elle tout un champ nouveau d’exer-