Page:Pelletan - Le Monde marche.djvu/29

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ma pensée, je choisis pour la notion de justice cette vérité de nature, vous insinuez en vertu du principe de la douleur méritée, de la douleur méritoire, que je commets un blasphème et que j’entre en révolte contre la Divinité.

Blasphème, soit ; révolte tant que vous voudrez ; mais au nom de l’intelligence faite pour penser, mais au nom de la main faite pour agir, l’humanité tout entière vous signifie, par son histoire, que la douleur n’est pas le remède de la douleur, ni la résignation le mot de notre destinée. La résignation, c’est-à-dire l’immobilité ne peut être que la vertu de l’agneau traîné à l’abattoir. À aucune époque l’homme ne s’est résigné à souffrir, car, par une sorte de prophétie divine, il a pressenti dès le premier jour qu’il portait inépuisablement dans sa réflexion la continuelle rédemption de ce que vous nommez douleur, et de ce que la philosophie du progrès nomme simplement une diminution d’existence.

L’homme était nu au jour de la création ; s’est-il résigné au froid ? non ; il a pensé, et la flamme a jailli de la pierre pour le chauffer. Il était affamé ; s’est-il résigné à la faim ? non ; il a pensé, et l’épi a mûri au soleil pour le nourrir. Il était blessé ; s’est-il résigné à voir couler son sang ? non ; il a médité, et le fer a guéri sa blessure. Il était tenu prisonnier dans l’espace par l’Océan ; s’est-il résigné à l’implacable surveillance du geôlier mugissant, en sentinelle sur le rivage ? non ; il a réfléchi, et le navire l’a porté à la rive d’un autre hé-