Page:Pelletan - Le Monde marche.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’œuvre ! Prends confiance dans la logique du temps, rentre en grâce avec la Providence. Dis-toi toute ta vie que chaque coup de pioche, que chaque éclair de ton front ira indéfiniment, après t’avoir nourri et illuminé le premier, racheter de siècle en siècle une autre génération de la servitude du besoin et l’élever à la dignité de la pensée.

Mais non ; cette doctrine si pieuse au fond, si consolante, si affable, si miséricordieuse pour cette vie de labeur, puisqu’elle donne un but à toute chose, un prix à toute action, vous la prenez en impatience, vous l’homme patient entre tous par le sentiment de votre force ; vous la traitez avec rudesse, vous l’homme indulgent jusqu’à la mansuétude. Vous l’appelez une utopie. Passe pour une utopie. Mais vous l’appelez encore une absurdité. Ici je vous arrête avec tout le respect que je dois à votre parole. Une idée peut être une erreur, disait, en pareil cas, Jean-Jacques Rousseau à Christophe Beaumont, elle n’est pas nécessairement pour cela une absurdité. L’absurdité, d’ailleurs, est une monnaie précieuse. On a trop souvent l’occasion de la dépenser dans la vie pour la répandre ainsi à tout propos sur son passage. Et nous, ses croyants, ses apôtres, le mot est dit, nous souffrons assez, pour reprendre tous nos droits ; nous, les damnés de cette minute-ci, les reniés, les proscrits, les suppliciés, voyez donc sur nos corps les traces encore saignantes de nos blessures. — Vous nous appelez les rêveurs incorrigibles, les