Page:Pelletan - Le Monde marche.djvu/35

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endormis du siècle, et vous nous comparez, sur la foi d’un brahmane, aux soufflets de forge, qui auront tout au plus respiré, mais qui n’auront pas vécu.

Je dors, oui, mais debout. Vous m’accorderez bien au moins la vérité de mon attitude. Ma conviction est une chimère, je le veux encore ; mais chimère pour chimère, puisque, de votre propre aveu, l’avenir est le grand peut-être du philosophe, que prophétiser c’est nécessairement rêver, j’aime mieux encore la prophétie qui dit au malheureux Lève-toi ! et qui, à côté de son malheur, installe l’espérance ; l’espérance, vous entendez, cette fille du ciel encore plus que la prière, cette première vertu de l’être appelé à quelque chose de plus haut que le présent, cette première entrée de l’âme, dès cette vie, dans sa patrie d’immortalité.

L’homme le plus grand, après tout, — vous vous reconnaîtrez peut-être au signalement, — est l’homme qui, injurié ou applaudi, compris ou méconnu, agit le plus à long terme, tire le plus à lui l’humanité, met le plus l’idée de perpétuité dans son œuvre, et jette au besoin son œuvre par-dessus les siècles à la postérité, comme le naufragé, en sombrant, jette son testament pardessus les vagues au rocher du rivage.

Et qu’est-ce donc que la gloire, cette part sainte du génie, votre part à vous le premier, sinon une prise de possession de la durée ? L’homme, au contraire, tombé le plus bas, est celui qui agit le plus à courte échéance, qui vit tout entier dans le quart d’heure, qui flotte à