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LE ROMANTISME.

anglais et allemands beaucoup plus qu’il ne les imita : il se réclama d’eux, mais pour montrer par leurs chefs-d’œuvre, avant d’en produire à son tour, comment le génie porte en lui-même les lois éternelles d’où relèvent toutes les formes de l’art, et dédaigne également soit les modèles qui se sont faits d’après les règles, soit les règles arbitraires et factices qui ont la prétention de faire les modèles. Chateaubriand, loin d’exalter les poètes anglais qu’il présente à la France, est plutôt tenté de les déprécier : il préfère Racine à Shakespeare « comme l’Apollon du Belvédère, à une grossière statue d’Égypte ». Mme de Staël elle-même, en nous faisant connaître la littérature allemande, met la nôtre en garde contre le danger de l’imitation, et nous convie à une rivalité féconde qui développe en nous les qualités propres de notre race et grâce à laquelle nous redevenions vraiment Français, comme nos voisins, affranchis de l’influence française, étaient redevenus vraiment Allemands. Les principaux représentants de l’école romantique proprement dite ont eux-mêmes protesté bien des fois contre toute invasion étrangère. Ils descendent en droite ligne de Chateaubriand, et leur admiration pour les poètes de l’Angleterre et de l’Allemagne, si vive qu’elle pût être, se tint toujours à distance. Lamartine ignorait tout de la poésie allemande, et, s’il adressa une épître à Byron, ce ne fut que pour le réfuter vaguement, sans le bien connaître, peut-être sans l’avoir jamais lu ailleurs qu’en lui-même. Vigny traduisit Othello ; mais, ainsi qu’il l’explique, son but était d’ouvrir la voie aux œuvres originales qui devaient suivre, et le drame de Chatterton ne doit rien à Shakespeare. Comme poète lyrique, son inspiration est tout éclose en lui-même, et, si d’autres génies contemporains ont plus de puissance et de fécondité, aucun n’a la veine plus personnelle. Alfred de Musset se souvient de Byron dans les poésies de sa première jeunesse, mais celles qui l’ont immortalisé sont faites de ses propres larmes. Quant à Victor Hugo, nul plus que lui ne professe le mépris des imitateurs. « Que le poète, écrit-il, se garde surtout de