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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

moyen âge et du merveilleux chrétien, fut aussi le plus fervent adorateur des divinités olympiques : il ressent devant les côtes de la Grèce un trouble que la vue des lieux saints ne lui a point fait éprouver, et, lorsqu’il met le pied sur le sol d’Athènes, il croit être un contemporain des Périclès et des Sophocle. Plus tard, en plein romantisme, nous retrouvons la même inspiration chez la plupart des poètes qui, dans les rangs de la nouvelle école, luttent contre le goût du faux classicisme. Alfred de Vigny emprunte leur flûte aux bergers de la Sicile pour accompagner ses idylles de la Dryade et de Symétha ; Brizeux est « un Bion chrétien » qui, jusqu’au fond de l’Armorique, recueille le discret écho des pastorales doriennes ; Alfred de Musset chante la Grèce, « cette éternelle patrie de ses vœux », « la Grèce, sa mère, où le miel est si doux ». La seconde génération romantique ne sera pas moins éprise de la beauté grecque : chez Théophile Gautier, chez Théodore de Banville et Leconte de Lisle, nous retrouvons le culte d’un idéal plastique qu’ils se sont complu à réaliser sous les formes les plus pures de l’art néo-grec.

Que le romantisme se tourne vers la Grèce ou vers le moyen âge chrétien et national, qu’il emprunte à la poésie du Nord quelque chose de sa mélancolie pénétrante, ou qu’il aille jusque dans l’Orient chercher la lumière et la couleur, ce qui concilie les unes avec les autres tant d’inspirations diverses dans le sein de la même école, c’est qu’il a toujours eu pour devise la liberté de l’art, et cette devise lui ralliait d’avance tous ceux qui, laissant de côté les modèles et les règles, ne reconnaissaient d’autre règle que la vérité, sous quelque apparence qu’elle se présente, et d’autre modèle que la nature, quelque aspect qu’elle revête.

Affranchir l’art, tel fut, avant tout, le but du romantisme. À ses yeux, « la poésie est une terre vierge et féconde dont les productions veulent croître librement et, pour ainsi dire, au hasard » ; c’est un paradis terrestre sans fruit défendu. Les classiques, n’étudiant la nature que par une seule face, excluaient de leur domaine tout ce qui