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LE ROMANTISME.

ne se rapportait pas à leur conception particulière. Les romantiques reconnaissent le beau sous toutes ses formes et ouvrent leur temple à tous les dieux. Il y a du beau autant de types divers qu’il y a de sociétés différentes. Homère, Dante, Shakespeare ou Gœthe, sous tous ces noms, c’est le génie, et le génie a justement pour caractère distinctif d’apporter toujours avec lui une interprétation originale de l’éternelle beauté. Mais à côté du beau existe le laid, et, s’il a sa place dans la nature, il doit l’avoir aussi dans l’art. Plutôt que de dédoubler l’homme et la vie, le romantisme mêle dans ses créations le laid avec le beau, le mal avec le bien, l’ombre avec la lumière. Pour qui voit de haut, ce que nous nommons le laid, c’est, après tout, dans l’ensemble des choses, un élément nécessaire à leur harmonie. De même, ce que nous nommons un défaut est la corrélation obligée dune qualité. Ni qualité, ni défaut, ce peut être l’idéal des esprits médiocres ; mais, dans l’art, la médiocrité ne compte pas, et, quant au génie, il est fatalement irrégulier comme la nature elle-même.

L’école classique avait fait de la poésie « un jardin bien nivelé, bien taillé, bien nettoyé, bien ratissé, bien sablé ». Le romantisme la compare « à une forêt primitive du Nouveau-Monde avec ses arbres géants, ses hautes herbes, sa végétation profonde, ses sauvages harmonies ». À la convention il oppose la nature, et il préfère « une barbarie de Shakespeare à une ineptie de Campistron ». L’école classique avait circonscrit l’art dans des limites étroites ; bien plus, elle assignait à chaque genre ses bornes particulières en lui défendant d’empiéter sur le genre voisin ; avec ses latitudes propres, chacun avait ses convenances spéciales. Le romantisme brouilla cette ingénieuse poétique ; il professa « que ce qui est réellement beau et vrai est beau et vrai partout, que ce qui est dramatique dans un roman sera dramatique sur la scène, que ce qui est lyrique dans un couplet sera lyrique dans une strophe ; qu’enfin et toujours la seule distinction véritable est celle du bon et du mauvais ». On eut alors le drame, qui réunit en lui tous