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RÉNOVATION DE LA LANGUE ET DE LA MÉTRIQUE.

estime qu’on a déjà retranché la moitié des termes employés au xvie siècle par le traducteur de Plutarque. Et il ne les regrette pas. Ceux-ci étaient trop vieux, ceux-là trop rudes ; les uns choquaient par la bassesse de leur origine, les autres par leur physionomie trop brutalement accusée. La conversation des honnêtes gens ne s’accommode que de mots choisis, bien nés, harmonieux, assez généraux pour n’éveiller dans l’esprit l’idée d’aucune chose vulgaire, assez éloignés de l’impression directe pour représenter les objets sans les faire saillir brusquement aux yeux. Le P. Bouhours renchérit encore sur Vaugelas : cette partie la plus saine de la cour, il la réduirait, si l’on voulait l’entendre, au roi et aux princes du sang. Quelques centaines de courtisans forment la langue à leur image. Ils la raffinent, ils la filtrent à l’envi ; ils la dérobent au grossier commerce des sens, ils la spiritualisent si bien qu’elle finira par y perdre toute couleur et toute saveur.

Le vocabulaire et la syntaxe, que les grammairiens du xviie siècle s’imaginaient avoir fixés pour toujours, ne subirent du moins, pendant le xviiie que des changements peu sensibles. Voltaire, qui mène une campagne si vive et si hardie contre les abus et les préjugés sociaux, est, en matière de langue, si religieusement fidèle aux traditions classiques, que les néologismes les plus inoffensifs effarouchent sa timidité. Ces traditions ne se modifièrent, pendant les cent cinquante ans environ qui s’écoulent depuis Louis XIV jusqu’à notre siècle, que dans le sens d’un purisme toujours plus exclusif et plus dégoûté. La Révolution triompha moins aisément de l’ancien régime littéraire que de l’ancien régime politique. Sans doute, notre langue ne resta pas à l’abri de toute atteinte. L’avènement d’une démocratie étrangère aux délicatesses de la classe aristocratique qu’elle avait supplantée, devait inévitablement introduire dans l’usage bien des innovations en accord avec le caractère de la société nouvelle. À peine établi, l’Institut se vit charger de faire entrer dans son Dictionnaire « les mots que la Révolution et la République avaient