Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire au XIXe siècle, 1900.djvu/112

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
104
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

créés ». Mais bien peu de ces mots pouvaient être adoptés par la langue littéraire, et le Dictionnaire lui-même ne leur donna droit de cité qu’en les reléguant dans un appendice. Quant aux locutions que les journalistes ou les orateurs avaient empruntées au parler du peuple, la littérature de l’Empire les rejette avec mépris. Il semble tout d’abord que le principal effet de la Révolution doive être d’exagérer encore, par contraste avec l’anarchie et la licence révolutionnaires, les scrupules et les susceptibilités du goût classique. Nos écrivains de l’époque impériale ont des superstitions, des pudeurs, que ni Boileau ni Racine ne connaissaient. C’est seulement avec le romantisme que la Révolution passe de l’ordre politique dans le domaine de l’art et surtout de la langue. Ceux-là mêmes qui, de notre temps, s’attachent à réduire le plus possible la portée du mouvement auquel la nouvelle école a présidé, sont bien obligés de reconnaître qu’elle accomplit dans notre idiome une véritable transformation, la plus profonde qu’il ait subie depuis la Renaissance.

Dès leurs débuts, les novateurs, tout en remontant par delà le xvie siècle au moyen âge chevaleresque et chrétien, ne se donnèrent pas moins, en fait de langue et de versification, comme les disciples de la Pléiade. Nous tenons de Sainte-Beuve, par qui nos poètes de la Renaissance furent remis en honneur, que, son choix de Ronsard une fois terminé, le bel exemplaire in-folio d’où les extraits avaient été pris resta déposé aux mains de Victor Hugo et devint, pour ainsi dire, l’Album du cénacle romantique. Sans doute, il y avait, même à cet égard, entre l’ancienne Pléiade et celle de notre siècle, une différence de situation sur laquelle pas n’est besoin d’insister. La première ne trouvait derrière elle qu’obscurité pédantesque et savants barbarismes chez les « rhétoriqueurs », et, chez les poètes de cour, comme Marot et Saint-Gelais, une sécheresse de formes et une indigence de moyens que ne pouvaient dissimuler leur agilité gracieuse, leur vive et preste élégance ; la seconde héritait de deux grands âges littéraires, illustrés, dans chaque genre, par