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RÉNOVATION DE LA LANGUE ET DE LA MÉTRIQUE.

d’immortels chefs-d’œuvre. Mais notre langue classique, surtout celle de la poésie, cette langue déjà « gênée » par Malherbe, qui passait ensuite de Malherbe à Vaugelas et de Vaugelaas au P. Bouhours, qui, pendant deux cents ans, n’avait cessé d’être épurée, c’est-à-dire de s’appauvrir, jusqu’à ce que la pruderie des pseudo-classiques finît par en exclure tout naturel, toute vivacité, toute franchise expressive, ne pouvait servir d’organe au jeune siècle que si les novateurs en refondaient l’instrument.

La grammaire elle-même, naturellement plus fixe et plus résistante que le vocabulaire, ne fut pas sans subir de nombreuses modifications. Le romantisme n’introduisit guère de constructions proprement nouvelles ; c’est que la langue domestique, celle du moyen âge, celle du xvie siècle, mettait à sa disposition une foule de tours vieillis entre lesquels il n’avait qu’à choisir. Ces tours, dédaignés de nos écrivains classiques, il les fit rentrer dans l’usage, il reprit du moins ceux qui s’accordaient avec le caractère analytique de notre idiome. Issue d’une renaissance morale et religieuse qui la rattacha tout d’abord à notre antiquité nationale, la jeune école rechercha les vraies traditions du génie français et son originalité native. On était archéologue avec piété ; on restaurait non seulement des châteaux ou des églises, mais aussi des formes de langage auxquelles le classicisme n’eût pas moins répugné qu’aux « barbaries » de l’architecture ogivale. Ce sens de l’histoire qui manquait complètement à l’âge classique, le romantisme l’applique à la rénovation de la langue elle-même aussi bien qu’à celle de l’art et de la poésie. Au xviiie siècle, Voltaire, dans son commentaire de Corneille, traitait comme des solécismes toutes les constructions du vieux poète que n’admettait pas l’usage contemporain : les novateurs de 1830 ressaisissent par delà Corneille bien des franchises de nos anciens auteurs ; ils retrouvent ce je ne sais quoi de hardi, de vif et de passionné qu’avait la langue française avant que les puristes classiques l’eussent assujettie à leur étroite discipline.