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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

Ce ne sont pas seulement les vocables d’Amyot dont Vaugelas disait que la moitié avait été déjà proscrite, mais aussi ses « phrases », c’est-à-dire ses constructions et ses tournures. Au commencement du xviiie siècle, l’auteur de la Lettre à l’Académie, que son indépendance faisait taxer d’esprit chimérique, mais qui n’en est pas moins le critique le plus délicat et le plus pénétrant de son époque, le moins asservi aux préjugés du goût contemporain, se plaint que notre langue ait perdu son ancienne liberté d’allure. « Elle n’ose jamais procéder, écrit-il, que suivant la méthode la plus scrupuleuse et la plus uniforme de la grammaire : on voit toujours venir d’abord un nominatif substantif qui mène son adjectif comme par la main ; son verbe ne manque pas de marcher derrière, suivi d’un adverbe qui ne souffre rien entre deux ; et le régime appelle aussitôt un accusatif, qui ne peut jamais se déplacer ». Quelque exagération qu’il y ait là, Fénelon n’en a pas moins raison de faire son procès à la monotonie de la syntaxe classique. Par la clarté même qu’elle doit à sa discipline sévère, notre langue, telle que l’écrivent le xviie et le xviiie siècle, est un merveilleux organe de la raison : mais il faut attendre jusqu’au romantisme pour qu’elle devienne propre à rendre les troubles du cœur, le tumulte des passions, les caprices de la fantaisie. Le romantisme sacrifie volontiers la régularité grammaticale à l’effet dramatique et à l’expression pittoresque. Il dispose les mots, non pas toujours d’après leur fonction logique, à une place fixée d’avance par la méthode abstraite des grammairiens, mais aussi selon l’ordre dans lequel se succèdent nos impressions ou nos sentiments, à la place où les porte de lui-même le mouvement de la pensée ou le courant de l’émotion. Avec les romantiques, notre syntaxe permet à la phrase une marche plus libre, plus souple, plus accidentée. Ils retrouvent ces idiotismes pittoresques, ces façons de dire singulières et brusques, ces tours expressifs, modelés sur la sensation immédiate, toutes ces locutions originales et imprévues, dont l’irrégularité choquait l’esprit classique, amoureux avant tout d’ordre et de symétrie, dont