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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

étaient tombés en désuétude depuis deux ou même trois siècles ; beaucoup d’autres, que l’usage avait conservés, modifièrent leur sens, mais pour le rapprocher, en général, d’un plus ancien emploi. » C’est en fouillant une langue qu’on l’enrichit », disait Joubert, sans se laisser effrayer, comme les pseudo-classiques, par les archaïsmes d’Atala ou de René ; « il faut traiter les langues comme les champs : pour les rendre fécondes, il faut les remuer à de grandes profondeurs. » Chateaubriand avait donné le signal. Ce maître en l’art d’écrire n’ignore ni ne néglige rien de ce qui peut prêter à son style de l’éclat et du relief ; il s’approprie ce que lui offre de plus expressif et de plus coloré non pas seulement le français d’avant Racine, mais aussi le gaulois d’avant Ronsard ; il cueille des fleurs jusque dans les vieux dictionnaires. Les novateurs romantiques suivirent son exemple ; ils le suivirent avec assez de hardiesse pour transformer la langue, avec trop de discernement pour en violenter le génie naturel ou pour en fausser le cours historique.

C’est surtout par les poètes, mais au bénéfice de la prose comme de la poésie, que s’opéra cette rénovation du vocabulaire, dont le premier initiateur fut Chateaubriand. Si Victor Hugo s’interdit le néologisme, il revendique en foule, chez les auteurs du moyen âge, dans le parler savoureux et pittoresque du xvie siècle, jusque chez les classiques, des termes vieillis auxquels le repos même d’une longue désuétude avait rendu toute la force et tout l’éclat de la jeunesse. Sainte-Beuve travaille à la même œuvre avec une délicate patience ; il y applique sa curiosité toujours en éveil et ce don d’assimilation qui est chez lui du génie. À mesure que le romantisme se fait plus exclusivement descriptif et pittoresque, il sent le besoin d’enrichir son vocabulaire. Théophile Gautier, « le peintre de la bande », comme il s’appelle, recourut parfois à l’introduction de termes nouveaux ; mais, pour quelques néologismes plus ou moins heureux, plus ou moins utiles, combien de restaurations, dont beaucoup furent pour notre langue un gain précieux ! « Ah ! mon cher enfant, disait-il à l’un de ses gendres, si nous avions seule-