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RÉNOVATION DE LA LANGUE ET DE LA MÉTRIQUE.

ment autant de piastres que j’ai reconquis de mots sur leur Malherbe !… Je me suis lancé à la conquête des adjectifs, j’en ai déterré de charmants et d’admirables, dont on ne pourra plus se passer. J’ai fourragé à pleines mains dans le xvie siècle… » Et ce renouvellement n’est pas chez les romantiques une œuvre d’érudition factice. Les termes qu’ils ont restaurés refirent un pacte avec la vie ; la plupart s’emploient aujourd’hui couramment, si bien qu’ils échappent même à notre attention et semblent n’avoir jamais cessé d’être en usage.

Ce qui contribua plus encore à l’enrichissement de notre langue, c’est que le romantisme fit passer dans le style littéraire et poétique une foule de termes que les préjugés du goût classique en avaient bannis. Bernardin de Saint-Pierre remarquait que « le propre de l’homme de lettres, il n’y a pas longtemps encore, était d’être empêché dès qu’on le lirait de ses livres, et de ne pas savoir nommer les choses ». Rousseau et Diderot avaient introduit déjà dans le vocabulaire pittoresque des expressions qui n’appartenaient jusque-là qu’à des idiomes techniques. L’auteur des Études sur la nature fait un pas de plus dans cette voie. « Essayez, disait-il, de décrire une montagne de manière à la faire reconnaître. Quand vous aurez parlé de la base, des flancs et du sommet, vous aurez tout dit. » Mais lui-même veut en dire plus. Il quête dans le champ des sciences ou dans celui des arts les mots dont il a besoin pour rendre ce qu’il voit. Comme la description romantique va toujours se précisant, elle cherche, hors de la langue traditionnelle, à laquelle le classicisme n’avait fait exprimer des objets que les traits les plus généraux, tous les termes nécessaires à la traduction des plus minutieux détails. Elle emprunte, non seulement aux arts et aux sciences, mais à l’industrie, au commerce, aux argots même de l’atelier, un matériel d’expressions auxquelles la littérature abstraite du xviie siècle n’avait point senti le besoin de recourir. Citons un exemple : deux livres du Télémaque renferment en tout dix désignations de couleurs,