Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire au XIXe siècle, 1900.djvu/12

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
4
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

tempérament de la hardiesse et de la mesure, l’heureuse alliance du goût avec le génie. Ce sont là les deux chefs-d’œuvre par excellence de notre xviie siècle ; mais ils ne font après tout que porter à un plus haut degré des qualités inhérentes à tous les ouvrages du temps, ces qualités classiques d’ordre et de convenance qui règlent l’audace elle-même, et qui, dans les genres tempérés, leur domaine propre, assortissent les nuances, ordonnent les formes, ménagent et graduent les effets, combinent les moyens en vue d’une fin unique, excluent toute complication au profit de l’harmonie et tout caprice au profit de la raison. L’art et la poésie du temps ont le besoin de la clarté, le goût de la symétrie, l’instinct naturel de la noblesse. Ce qui les caractérise, c’est un équilibre parfait de l’esprit, une modération à la fois active et placide, une force qui se possède, quelque chose de régulier sans soubresauts comme sans monotonie, quelque chose d’uni sans platitude comme sans accidents pittoresques, un mélange exquis de tout ce qui peut émouvoir le cœur sans le troubler et charmer l’imagination sans la séduire.

La Renaissance du xvie siècle s’était faite au nom des anciens : Ronsard et ses disciples avaient voulu transplanter d’un seul coup toutes les formes antiques sur notre sol. Le xviie siècle procède avec plus de précaution. Il est moins avide et moins rapace. Au lieu de piller avec une hâte violente, il emprunte discrètement. Il s’inspire de l’antiquité plutôt qu’il ne la reproduit, il se l’assimile plutôt qu’il ne se façonne sur elle. Mais ce ne sont là que les pratiques d’un art plus savant et plus délicat. Au fond, l’influence des anciens prédomine de plus en plus ; elle triomphe pleinement avec la seconde génération de nos grands classiques. Il y avait eu jusque-là des protestations et des résistances. Corneille regimbait contre les règles ; il inaugurait dans son Cid le drame chevaleresque ; il pressentait dans son Don Sanche la tragédie bourgeoise et parlait de chausser le cothurne plus bas ; il mêlait dans son Nicomède l’élément comique à l’élément tragique. Dès la seconde moitié du