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LE CLASSICISME.

siècle, Aristote et Horace, commentés par Boileau, règnent en maîtres sur toute notre poésie. Le groupe des « modernes » est dédaigneusement rejeté en dehors de la voie classique, et aucun des écrivains médiocres qui s’y rattachent ne peut s’imposer par une seule œuvre de marque aux grands écrivains qui représentent les traditions de l’antiquité. D’ailleurs, leur polémique ne s’attaque point à la doctrine : s’ils critiquent les poèmes d’Homère, c’est en s’appuyant eux-mêmes sur les règles d’Aristote, et leur chef, Perrault, emprunte au philosophe grec la formule de l’épopée d’après laquelle il censure l’Iliade. À cette époque, on démontre moins par des raisons que par des autorités : les raisons sont discutables, mais les autorités font loi. Corneille lui-même déclare hautement qu’il serait tout prêt à condamner le Cid, si sa tragédie péchait contre « les grandes et souveraines maximes que nous tenons d’Aristote ». La Fontaine, le plus libre et le plus spontané parmi les poètes du temps, établit une règle de l’apologue sur la foi des anciens en se dispensant d’y apporter aucune raison : « C’est assez, d’après lui, que Quintilien l’ait dit. » Il suffit à Boileau d’avoir déclaré que les principes de son Art poétique sont tirés d’Horace, pour s’étonner ensuite que l’on « ose » les combattre. Racine écrit comme sous l’œil même des Grecs : « Que diraient Homère et Euripide, s’ils lisaient ces vers ? Que dirait Sophocle, s’il voyait représenter cette scène ? » Pas un écrivain classique qui ne cherche dans l’antiquité ses maîtres et ses guides. Aucun n’a ni l’insupportable prétention d’égaler les modèles de la Grèce et de Rome, ni l’extravagante fantaisie de chercher à faire autrement. Si l’on approche de leur perfection, ce ne saurait être qu’en se réglant sur eux. Telle traduction d’un médiocre écrivain latin ou grec passe pour un événement littéraire. On s’ingénie à enchâsser dans son vers une belle expression de Virgile, à insinuer avec art quelque sentence de Sénèque dans le tissu de son discours. Racine déclare qu’il n’est pas un trait éclatant de son Britannicus que Tacite ne lui ait fourni ; La Bruyère demande à Théo-