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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

rents à l’esprit humain, celui de la symétrie, sur lequel se fonde n’importe quelle versification, et celui d’une variété sans laquelle les idées et les sentiments ne sauraient avoir d’expression rythmique En donnant à l’un de ces deux besoins pleine satisfaction au détriment de l’autre, on aboutirait, dans le premier cas, à une insupportable monotonie, et, dans le second, à la ruine complète de toute langue poétique. Sans oublier ce qu’il doit à la symétrie, notre alexandrin moderne a développé de plus en plus ses moyens expressifs par de graves perturbations dans la régularité du rythme.

Le type idéal du vers de douze syllabes exige une égalité parfaite de ses éléments logiques comme de ses éléments rythmiques, un parfait accord des uns avec les autres. Il se partage en quatre fragments égaux, séparés par une césure disjonctive qui marque la fin de chacun. Cette formule, on le sait, n’a jamais été employée à l’exclusion des autres ; mais toute altération qu’elle subit est une atteinte portée à la symétrie absolue.

Tandis que l’alexandrin normal se compose de quatre parties indépendantes, l’alexandrin classique n’a que deux césures obligatoires : l’une à la sixième syllabe, l’autre à la douzième. Il maintient l’égalité des hémistiches, mais peut diviser chacun d’eux en deux portions inégales. De là plusieurs formules nouvelles qui satisfont, dans une certaine mesure, aux exigences de la variété et aux besoins de l’expression. Ces nouvelles formules, dont la discordance est manifeste, se rencontrent chez les poètes du xviie siècle presque aussi fréquemment, pour la plupart, que celle de la parfaite concordance. Le vers normal revient toujours à de brefs intervalles pour rendre à l’oreille la pleine sensation de la symétrie ; mais, en fait, la liberté du versificateur n’est ici limitée par aucune restriction, et, dans l’intérieur de chaque hémistiche, il peut varier à son gré les combinaisons rythmiques.

Jusqu’au romantisme, tout au moins jusqu’à André Chénier, qui le devança sur ce point comme il l’annonçait déjà sur d’autres, les altérations n’allèrent pas plus loin. Cependant, dès le xviie siècle et particulièrement chez Racine,