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RÉNOVATION DE LÀ LANGUE ET DE LA MÉTRIQUE.

nous saisissons une tendance bien sensible à introduire plus de variété dans le rythme en atténuant la césure médiane et même la césure finale. Il est vrai que ces extensions anormales de la période rythmique étaient vulgairement tenues pour un défaut. Le débit des acteurs en donne la meilleure preuve : ils marquaient fortement la fin de l’hémistiche et celle du vers, lors même que le sens devait en souffrir, et ramenaient ainsi tout alexandrin au type rigoureusement classique. Si les exemples de ces perturbations sont d’ailleurs assez rares, il ne faut pas moins y voir une sorte d’acheminement aux licences de notre versification contemporaine.

Dans l’alexandrin romantique, l’accent de la sixième syllabe n’est pas considéré comme le lieu obligatoire d’un repos ; par suite, aucune règle fixe ne détermine plus d’avance le dessin de l’unité métrique. L’accent de la douzième syllabe peut lui-même n’exiger aucune pause du sens ; par suite, la liberté des combinaisons s’étend à un distique entier. Dans le premier cas, nous avons l’enjambement intérieur ; dans le second, l’enjambement d’un vers sur l’autre. Ces deux altérations transformèrent l’alexandrin classique. Elles en troublent profondément l’équilibre, mais offrent au poète d’inépuisables ressources et lui permettent d’exprimer par le rythme tous les mouvements du cœur. L’enjambement, tant au milieu qu’à la fin des vers, a souvent un effet local et déterminé ; mais l’effet peut n’être aussi que la perturbation même du rythme. Dans les couplets de passion, par exemple, la phrase poétique est rebelle à toute régularité ; elle s’arrête brusquement, elle se précipite avec violence ; elle a comme des frémissements et des saccades ; elle ne connaît d’autre mesure que l’émotion du poète.

Les licences que donne l’abolition des césures offrent assurément bien des dangers. Plus les règles mécaniques de la versification sont nombreuses et précises, plus le versificateur est gêné par ces règles quand il fait ses vers, mais plus il en est soutenu quand ses vers sont faits. Au contraire, plus son oreille et son goût ont de latitude, plus il lui devient aisé de faire des vers, mais plus ces vers risquent