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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

d’être mal venus, s’il n’a pas l’instinct de l’harmonie et le sens du rythme. C’est surtout avec les facilités accordées de nos jours au poète que les dieux ne lui permettent pas d’être médiocre, ou plutôt qu’ils l’abandonnent sans ressource à sa médiocrité.

Certes, les discordances de la versification moderne sembleraient aux Malherbe et aux Boileau dignes de véritables barbares. En notre siècle même, l’alexandrin romantique fut considéré par leurs derniers disciples comme une monstrueuse perversion. Avant l’habitude d’élever et d’abaisser tour à tour, par un mouvement de régularité parfaite, les deux hémistiches des deux côtés de la césure comme les plateaux d’une balance des deux côtés du fléau, toute oscillation un peu brusque les déconcertait, leur faisait croire que la balance était « folle ». Mais, on l’a vu, les plus classiques des classiques, Malherbe et Boileau eux-mêmes, s’étaient déjà écartés de la symétrie absolue, et l’évolution de l’alexandrin, dont nous trouvons les premières traces jusque dans leur versification, devait nécessairement se poursuivre après eux en altérant de plus en plus la concordance, en élargissant la période, en compliquant les combinaisons rythmiques. Il y a là une loi générale qui s’applique à tous les arts. Que dirait Lulli d’une symphonie de Beethoven ? À défaut d’autres raisons, le perfectionnement de nos organes expliquerait encore ces dérogations à la noble et harmonieuse simplicité du xviie siècle. Nous découvrons en des rapports plus complexes un charme mystérieux qui échappait à l’oreille de nos ancêtres, et nous combinons d’après ces rapports des rythmes expressifs et pittoresques qui l’auraient blessée jusqu’à la souffrance.

Les discordances romantiques ne sont d’ailleurs pour la plupart et ne doivent être que des accidents. En accumulant les altérations de tout genre dont nos poètes modernes ont donné l’exemple et dont ils n’usent eux-mêmes qu’avec discrétion, en admettant comme régulier ce qui n’est chez eux qu’une sorte de licence, justifiée par l’effet produit, on aboutirait en un de compte à la prose pure. C’est grâce aux