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RÉNOVATION DE LA LANGUE ET DE LA MÉTRIQUE.

discordances que notre langue poétique peut suivre toutes les inflexions du sentiment, que la phrase tantôt se brise dans sa course en flots courts, serrés, haletants, et tantôt roule avec magnificence un ample fleuve de périodes ; mais n’oublions pas que, chez nos grands poètes contemporains, l’alexandrin de Malherbe et de Boileau demeure toujours la base même du rythme : les plus hardis n’élargissent ou ne rompent le cadre que pour le reformer aussitôt. Du reste, les contretemps n’auraient plus de valeur s’ils ne faisaient contraste avec la mesure régulière. Toute discordance suppose une concordance normale dont elle accentue encore l’effet, et l’irrégularité ne peut se concevoir sans la règle ; il serait absurde de fonder un système de métrique sur la discordance, qui est la négation de tout système.

Où finit le vers, où commence la prose ? C’est ce qu’il est impossible de décider d’une manière précise ; la limite varie avec notre éducation rythmique et la délicatesse de nos sens. On peut voir d’ailleurs un mensonge dans cette cadence uniforme que la versification nous impose. On peut soutenir que toute contrainte est un obstacle à la sincérité du poète ; que, si le principe suprême de l’art est la convenance intime de la forme avec le fond, les règles qui déterminent la forme oppriment par cela même le sentiment et la pensée ; enfin que, pour être vraiment sincère, le rythme, débarrassé de toute formule mécanique, ne doit plus obéir qu’aux pulsations mêmes du cœur. Mais, tant qu’il y aura une langue poétique distincte de la prose, cette langue ne fera aux exigences de l’expression et au besoin de la variété que des concessions compatibles avec les lois de la symétrie. C’est ce qu’ont peut-être oublié, de nos jours, les derniers disciples du romantisme ; c’est ce que n’oublièrent ni Victor Hugo, le chef de l’école, ni Sainte-Beuve ou Théophile Gautier, qui furent, après lui, les poètes les plus « artistes » de la première génération romantique. S’il « disloque » parfois « ce grand niais d’alexandrin », Victor Hugo n’en conserve pas moins la symétrie comme principe essentiel et règle générale de sa versification.