Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire au XIXe siècle, 1900.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
123
LE LYRISME ROMANTIQUE.

plus aux grands contemporains, mais nous ne pouvons même pas l’associer à eux. Ceux-là sont les maîtres de la lyre, et lui n’est un maître que sur la vielle.

Béranger n’avait encore fait que Roger Bontemps et la Gaudriole, quand parut un petit recueil de vers où se révélait le secret d’une inspiration nouvelle, en intime accord avec l’état moral delà jeune génération. Celle-ci s’y reconnut aussitôt, et le nom de Lamartine, ignoré la veille, fut illustre le lendemain.

L’auteur des Méditations avait commencé par imiter les élégiaques du xviiie siècle. « Bertin et Parny, a-t-il dit lui-même, faisaient les délices de ma jeunesse ; l’imagination toujours très sobre d’élans et alors très desséchée par le matérialisme de la littérature impériale, ne concevait rien de plus idéal que ces petits vers corrects et charmants de Parny, exprimant à petites doses les fumées d’un verre de vin de Champagne, les agaceries, les frissons, les ivresses froides, les ruptures, les réconciliations, les langueurs d’un amour de bonne compagnie, qui changeait de nom à chaque livre. Je fis comme mes modèles, quelquefois peut-être aussi bien qu’eux. Je copiai avec soin, pendant un automne pluvieux, quatre livres d’élégies formant ensemble deux volumes, sur du beau papier vélin. » On pourrait retrouver cette première veine jusque dans les Méditations : si quelques-unes ne s’élèvent pas sensiblement au-dessus de ce que Millevoye avait écrit de plus touchant et de plus pur, d’autres procèdent tout uniment de Bertin et de Parny, et respirent la mélancolie du plaisir qui donne un charme pénétrant à certaines pièces de ces poètes.

Lamartine approchait déjà de l’âge mûr lorsqu’il prit conscience de sa véritable vocation. C’est à vingt-huit ans que lui fut pour la première fois révélé « ce je ne sais quoi qui s’appelle poésie ». Il brûle alors ses cahiers de vélin, il rompt, avec une philosophie voluptueuse « qui n’était pas la sienne », il rougit d’avoir profané la langue sacrée des vers en ne lui confiant que les secrets de ses sens ; il con-