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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

sacre pour toujours sa lyre à l’expression de cet infini qui lui apparaît dès ce moment comme la source unique de l’art. « C’est là, écrit-il à son ami Virieu, l’âme de l’homme tout entière ; et, par conséquent, tout ce qui doit et peut agir sur son âme doit en tenir et y tendre par quelque point. »

Il avait en cette voie même des devanciers. Ne parlons pas d’Ossian et de Byron. L’un, qu’il appelle l’Homère de ses premières années, n’eut pourtant sur lui qu’une influence vague et lointaine ; quant à l’autre, il ne le connut que tard et se félicite comme d’un bonheur que la puissance de ce génie sauvage et souvent pervers ne l’ait pas entraîné hors de sa vocation naturelle ; au fond, il n’y a rien de commun entre Byron, « Lucifer révolté d’un pandémonium humain », et Lamartine, nature tout optimiste, tournée d’elle-même à l’adoration, et qui fit de la poésie un hymne de reconnaissance, d’amour et de foi. C’est en France même que l’auteur des Méditations a ses véritables précurseurs. Mais ce ne sont pas des poètes. S’il commença par imiter les Parny et les Bertin, André Chénier, qu’il ne put d’ailleurs connaître qu’un an avant la publication de son premier recueil, lui inspira tout d’abord et pour longtemps une antipathie instinctive : il ne voit en lui que le chantre de la matière et des jouissances charnelles ; il ne sent pas d’ailleurs tout ce qu’il y a d’exquis naturel dans la poésie délicate et savante de ce Byzantin. Ses maîtres, ce sont les grands prosateurs qui avaient régénéré du même coup le sentiment et l’imagination. D’abord, Jean-Jacques Rousseau, qu’il lisait dès sa première jeunesse et dont il garda une impression ineffaçable. On retrouve bien souvent dans ses Méditations et ses Harmonies les accents du Promeneur solitaire ou du Vicaire savoyard ; le Lac, ce chant « des amants adoré », que le jeune poète murmure à l’oreille d’Elvire, Saint-Preux l’avait déjà soupiré à celle de Julie. Entre Lamartine et Bernardin de Saint Pierre, il y a une parenté plus intime encore : c’est, chez tous les deux, la même sensibilité à la fois voluptueuse et tendre, la