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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

beau jeu contre les Méditations que, vingt ans plus tôt, Morellet et Marie-Joseph Chénier contre le Génie du christianisme. Leurs mesquines critiques se perdirent dans le bruit de l’admiration universelle. Le jeune poète, il le dit lui-même, reçut mieux encore que des applaudissements : il eut des soupirs pour échos et des larmes pour acclamations.

Un mince recueil de vers transformait notre poésie. Rendue à la vérité du sentiment et à la sincérité de l’expression, elle redevient la langue d’un cœur ému. C’était là toute une révolution. Comme le disait justement l’éditeur auquel Lamartine avait d’abord présenté son manuscrit — et qui le refusa, — les Méditations « ne ressemblaient à rien de ce qui était connu et recherché ». Ce caractère de nouveauté frappe et les détracteurs et ceux qui sont le plus disposés à l’admiration. Le père du poète trouve les vers de son fils aussi « étranges » que beaux. Dans un salon où Lamartine lit une de ses pièces, Villemain s’élance vers lui, et, le prenant au collet : « Jeune homme, lui dit-il, qui êtes-vous ? D’où venez-vous, vous qui nous apportez une telle poésie ? » Notre lyrisme avait été jadis avec Ronsard une imitation laborieuse de l’antiquité, puis, avec Malherbe, une noble architecture de syllabes, plus tard, avec Jean-Baptiste Rousseau, une déclamation froide et tendue : Lamartine en fait tout d’un coup une sorte de chant intérieur, « la partie morale, divine, mélodieuse de la pensée humaine », moins un art qu’une soudaine effusion de sentiments. « Les poètes, dit-il, cherchent le génie bien loin, tandis qu’il est dans le cœur et que quelques notes bien simples, touchées pieusement et par hasard sur cet instrument monté par Dieu même, suffisent pour faire pleurer tout un peuple. » Il y a chez le Lamartine de 1820 une spontanéité d’inspiration, une fraîcheur de sentiment, une simplicité de moyens, qui nous font songer aux primitifs.

La poésie retrouve comme une virginité dans l’ignorance même et la candeur du poète. Elle s’est dépouillée de toute forme artificielle, ou, pour mieux dire, n’a presque plus de