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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

mais la passion d’un martyr, une passion comme celle du Christ. » Et, dans sa pièce de Samson, il lance contre la femme une malédiction vibrante de colère. En politique, il avait été d’abord le pieux servant de la royauté légitime, le chevalier du droit divin ; mais les illusions de sa foi première furent promptes à s’évanouir, et nulle foi nouvelle n’eut désormais prise sur cette âme désenchantée. Il vit avec froideur la chute de Charles X, laissa passer en s’isolant la monarchie de Juillet, bouda la République, et finalement se réfugia dans une dédaigneuse indifférence. Comme penseur, il croit à l’avenir de la société humaine ; mais, par une étrange contradiction, que Sainte-Beuve relève avec toutes les autres, il ressent une répugnance instinctive pour les instruments pratiques de la civilisation, et cet apôtre du progrès finit par une diatribe contre la science, contre le « chemin triste et droit » qu’elle trace sur la terre aux locomotives du « marchand ». Un de ses derniers poèmes s’inspire du plus implacable fatalisme : le joug des « Destinées » a pesé de tout temps et pèsera à jamais sur le genre humain ; notre « mot éternel » est : » C’était écrit ».

Il ne lui reste, en dehors de l’art, aucun principe d’action. Aussi s’absorbe-t-il entièrement dans lui-même. Il sépare « la vie poétique de la vie politique », il emploie toutes les forces de sa volonté à détourner sa vue des entreprises trop faciles de l’existence active. Il se compare avec l’hirondelle, qui ne se pose qu’un moment à terre. « Je crois, dit-il, au combat éternel de notre vie intérieure, qui féconde et appelle, contre la vie extérieure, qui tarit et repousse. » Il ramène les variétés de la famille intellectuelle à deux races différentes. Celui-ci, esprit agile, souple, toujours frais et dispos, habile aux choses de la vie, c’est l’improvisateur ou l’homme de lettres, et le poète n’a pour lui que dédain et aversion. Celui-là se recueille en lui-même, oublie l’époque où il vit et les hommes qui l’entourent, ne songe qu’à l’avenir, est contenu dans le travail par le désir de la perfection ; impropre à toutes les pratiques de l’exis-