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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

Reconnaissons à Vigny une intelligence haute et méditative. Il a été certainement un des plus originaux parmi les réformateurs romantiques. Ses thèses sociales ne sont pas elles-mêmes sans portée. Jusque dans ses poèmes, il s’est préoccupé des plus graves questions qui touchent à l’origine et à la destinée de l’homme. Mais, s’il mérite le nom de penseur, l’artiste, en lui, nous semble bien supérieur au philosophe. Dans le moment même où il exprime ses ambitions philosophiques, il se déclare « épris à la fois des détails savants de l’élocution et des formes du dessin le plus pur ». N’est-ce pas là ce qui domine chez Alfred de Vigny ? Combien de ses pièces ne sont à vrai dire que des études d’art ! Et nous ne parlons pas seulement de fragments et d’esquisses, mais aussi de tableaux achevés, comme la Fille de Jephté ou la Femme adultère. Certaines compositions expriment une idée assez ordinaire à laquelle le poète a donné un cadre disproportionné. Quelque poétique que soit l’inspiration première d’Eloa, la main-d’œuvre, dans cette pièce même, nous semble bien plus précieuse que la matière. Alfred de Vigny est un esprit vigoureux et original, mais c’est avant tout un artiste, le plus délicat qu’ait produit la génération de 1820. Sa grâce pudique et sa chaste élévation lui donnent une place à part entre les poètes contemporains. Dans l’écrin romantique, qui renferme des joyaux plus éclatants et plus riches, la poésie de Vigny brille comme une perle, un peu froide peut-être en sa pureté, mais divinement exquise et rare.

Si la première tentative de Lamartine, celle des Méditations, est, comme le dit Sainte-Beuve, la seule qui compte véritablement pour l’originalité, si, d’autre part, l’œuvre d’Alfred de Vigny se résume en une douzaine de pièces (il n’en a pas en tout écrit quarante), auxquelles l’inspiration intime et la forme extérieure prêtent l’une et l’autre un air de famille, nous abordons en Victor Hugo le poète non seulement le plus hardi, mais aussi le plus fécond et le plus divers qu’ait produit notre temps. Il débute, enfant sublime,