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LE CLASSICISME.

sont-ils définitivement interdits à notre poésie : Corneille est Latin et Racine Grec ; le nom de Childebrand suffit pour couvrir de ridicule une épopée.

Dévots adorateurs de l’antiquité, les écrivains du xviie siècle n’ont pas toujours saisi l’objet de leur culte avec une pleine intelligence. S’ils entendent bien la tradition latine, ils ne sont jamais entrés naturellement dans celle de l’art grec, plus libre et plus original. Ils n’ont de l’hellénisme qu’une vue incomplète et sans profondeur ; ils le transforment à l’image de la civilisation contemporaine ; ils y introduisent leurs goûts, leurs idées, leurs habitudes sociales, leurs préjugés personnels. Les sombres légendes qui faisaient frissonner d’épouvante le théâtre antique ont perdu chez eux leur sens mystérieux et fatal. Une fille immolée aux dieux par son père, un fils agitant dans ses mains le poignard que l’implacable destin consacre au parricide, une reine jetée par le sort de la guerre dans la couche du vainqueur tout chaud encore du sang d’un époux chéri, ce sont là, pour le xviie siècle, les héros de fables qu’inventait à plaisir l’imagination des poètes, et dans lesquelles la tragédie classique trouve des cadres plus ou moins bien appropriés à ses analyses de caractère, sans en soupçonner la réalité farouche dans sa primitive horreur.

Boileau célèbre Pindare et ne le comprend pas : quand il s’avise de composer une ode, c’est au poète grec qu’il demande ses inspirations ; mais quel rapport y a-t-il entre la conception mécanique d’un lyrisme tout conventionnel et ce magnifique ensemble de l’ode pindaresque chantée et jouée par le chœur antique, cette hymne de tout un peuple qui emprunte son éclat, son mouvement, à la célébration des héros et des dieux domestiques, à la pompe des cérémonies solennelles, à l’affluence même des spectateurs, sa vérité active et présente aux traditions et aux symboles, au milieu tout mythologique où elle se déploie, aux légendes nationales dont elle est la glorification ?

Le xviie siècle ne saisit pas mieux Homère que Pindare. Ce qu’on lui reproche, c’est justement ce que nous goûtons