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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

le plus dans son épopée, vaste et vivant tableau d’une civilisation à demi barbare chez une race supérieurement douée, unique monument d’un art qui se confond encore avec la nature. Ce qu’on admire chez lui, ce sont des intentions littéraires auxquelles il n’avait jamais songé ; on voit en ce génie tout spontané un poêle réfléchi et consciencieux qui applique avec méthode les règles propres au genre épique ; pour emprisonner l’épopée grecque dans l’étroit cadre du classicisme, on en fait une composition artificielle ; on n’en saisit pas la nature intime, on n’y sent pas cette inimitable franchise de poésie, ce charme suprême d’heureuse ingénuité et de naturelle grandeur. Des questions d’art et de style dominent tout le débat entre les anciens et les modernes, et le mérite supérieur d’Homère, aux yeux de son champion attitré, consiste à descendre dans les plus minutieux détails et à dire les plus petites choses sans compromettre jamais la noblesse de sa diction. Le panthéisme hellénique, dont l’intelligence seule peut nous initier à l’art grec, n’est pour la critique du temps que le jeu d’imaginations égayées ; elle croit que les dieux olympiques sont éclos du cerveau des poètes ; elle ne voit qu’un répertoire d’ornements et de métaphores complaisantes dans ces mythes sacrés qui furent en Grèce le fond de toute poésie parce qu’ils étaient l’âme de toute religion.

Aucune société ne pouvait être plus impropre que celle du xviie siècle à comprendre et à sentir le génie de l’antiquité primitive. Pour goûter Homère, il lui faut civiliser ce barbare, en faire un écrivain scrupuleux, montrer que le mot d’âne est en grec un terme « très noble ». Le milieu contemporain avait développé le besoin factice d’une politesse raffinée et dégoûtée qui taxait toute naïveté de gaucherie ridicule et toute originalité d’indécente bizarrerie. Le type favori de l’époque se réalise dans « l’honnête homme », et les caractères distinctifs de l’honnête homme sont une convenance parfaite, une mesure exquise, l’urbanité du ton, la réserve du langage, la sobriété du geste, toutes les