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LE LYRISME ROMANTIQUE.

cide qu’il rêvait, ce désolé publie un recueil de Consolations. Il a trouvé autour de lui des génies puissants et bons qui l’ont réconcilié avec Dieu, qui lui ont fait partager leur croyance dans l’éternité et dans l’idéal. La crise une fois passée, son premier sentiment est celui d’un bien-être délicieux : c’est ce sentiment qui lui dicte ses nouveaux vers. De la fange où l’avaient entraîné les sens, l’immortelle pensée a jailli comme un feu des marais. Il dompte les ardeurs du tempérament, et l’ascétisme qu’il impose à une sensualité grossière tourne son esprit subtil aux raffinements de la pensée et de l’émotion religieuses. La religion philosophique ne lui suffit pas ; elle est trop froide et trop nue. Des rêveries morbides ont fait germer en lui un mysticisme aux parfums troublants, qui, si ses sens ont des rechutes, donnera plus de ragoût à la volupté.

Les Pensées d’août sont « le fruit et plus souvent le passe-temps des lents jours du milieu ». Tout en gardant par devers lui ce que sa vie intime a de plus secret, le poète nous y offre, à défaut des « heures » elles-mêmes, le superflu de ses heures, l’attente, l’intervalle, l’espérance ou le souvenir. Ses vers respirent maintenant la sagesse d’une maturité apaisée. Les retours vers le passé y ont quelque chose de riant, et la réflexion qui les suit est grave sans amertume. Il se livre moins dans ce recueil que dans les autres, mais il découvre mieux, sinon les profondeurs les plus secrètes de son être, au moins sa vraie nature en dehors de toute crise et dans l’habitude même d’une existence qui semble désormais fixée.

À travers les diverses phases de sa carrière morale, la physionomie littéraire du poète resta toujours la même. Ce qu’il y a de nouveau chez lui, c’est une manière discrète, moyenne, volontiers humble. Venu sur le tard, alors que d’autres avaient occupé déjà « le vaste de l’âme et le vaste des cieux », il cherche dans les cieux et dans l’âme des coins ignorés ou dédaignés. Les malheurs que chante Joseph Delorme n’ont rien de dramatique ; l’étoffe de sa vie est faite de jours embrumés et monotones, et il ne songe