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LE LYRISME ROMANTIQUE.

chis par les pluies. La lyre avare du poète laisse sortir avec peine des chants inquiets, soucieux, sans aisance et sans grâce, que les recherches, les procédés, les intentions secrètes ont par avance exténués et défleuris.

Il essaie péniblement de compenser son impuissance plastique en multipliant les effets de détails, les artificieux détours, les délicates habiletés de métrique et de style. Aucun poète ne fut jamais préoccupé comme lui des plus minutieuses pratiques de l’art. S’il se rallie aux romantiques, c’est, non par goût pour leur conception de la poésie, pour leurs tendances aristocratiques et spiritualistes, lui, le roturier carabin et jacobin, mais parce qu’il partage leurs vues sur la réforme de notre langue et de notre versification ; et Joseph Delorme oublie son navrant désespoir pour observer dans sa préface que tel mot suranné ou de basse bourgeoisie a été restauré par ses soins. Pas de détail si ténu qui n’ait chez lui sa valeur. Il a le style insidieux et retors. Son vers côtoie la prose ; il s’en distingue par l’étroitesse de la forme, par la rime toujours exacte, par maint secret de grammaire et d’oreille, par une coupe, un son inattendu, une lettre même,

quelque lettre pressée
Par où le vers poussé porte mieux la pensée.


Son âme compliquée et sinueuse ne peut trouver dans la langue ordinaire un interprète qui lui suffise. Pour rendre toutes les nuances, il lui faut des ruses subtiles : tantôt c’est un terme doucement incliné vers l’ancienne signification qu’il avait perdue, tantôt une alliance de mots insolite, tantôt une négligence méditée ou même un solécisme savant. Toute l’adresse du poète ne saurait racheter la fatigue d’une diction aussi entortillée. Il n’a jamais eu ce que lui-même appelle « le léger de la Muse », l’émanation de douceur et de grâce qui se communique à des cœurs plus simples et à des génies moins conscients.

Les poésies de Sainte-Beuve sont, à vrai dire, des études de critique et d’analyste. Si le poète a sa manière propre,