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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

il s’exerce aux tons les plus divers ; il cherche à pénétrer les secrets de ses devanciers et de ses maîtres ; il essaie de tout, ne fût-ce que pour tout comprendre. Il s’applique aux jeux de la rime, il restaure le sonnet, invention d’un dieu bizarre, il écrit telle pièce en style légèrement rajeuni du xvie siècle ; il acclimate dans notre poésie les délicatesses sentimentales de l’école anglaise et « dérobe un ruisselet aux lacs mélancoliques et doux de Wordsworth et de Cowper ». Certaines de ses épîtres en vers sont de véritables causeries littéraires dans la manière des Lundis ; il les adresse à des confrères, à Villemain et à Patin. Dès son premier recueil, il nous révèle son goût pour les livres, sa prédilection pour les anas de naissance anonyme, dont lui-même nous prévient qu’il note les traits en passant. Joseph Delorme se préoccupe du séjour que fit Malherbe à Carpentras ou de l’air avec lequel Ménage jouait son rôle chez Mme de Sévigné. Un de ses grands bonheurs est de trouver sur les quais un Pétrone, un Ronsard, un A Kempis. Au bal même, il quittera la vierge au cou de cygne pour s’entretenir avec Nodier d’un vieux bouquin.

Après tout, si Sainte-Beuve a renouvelé la critique, c’est parce qu’il y introduisit l’étude morale. Or n’est-ce pas aussi l’étude morale qui donne à ses poésies leur physionomie particulière ? Son vrai genre, c’est « l’élégie d’analyse ». Nul observateur de l’âme humaine n’a pénétré plus avant dans les mystères du moi. Ses personnages, les Marèze, les Monsieur Jean, les Doudun, ne vivent peut-être pas, mais ce sont d’admirables anatomies. Il est arrivé « à cette particularité et à cette précision qui fait que les êtres de notre pensée deviennent tout à fait nôtres et sont reconnus de tous ». Sa curiosité psychologique épie les moindres tressaillements du cœur, surprend les intimités les plus secrètes, note les plus fugitives émotions, distingue les plus imperceptibles nuances. D’autres, plus grands et plus richement doués, ramenaient la poésie à la spontanéité et à la candeur primitives ; chez lui, elle est le produit dune civilisation vieillie, complexe, subtile, dont il a exprimé