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LE CLASSICISME.

qualité ? d’assortiment et de nuance que la vie sociale érige en vertus. C’est là le héros de la comédie comme de la tragédie : plus aristocratique dans Racine, plus expressif dans Molière, il incarne cet idéal de raison moyenne, de sagesse sans pédantisme, d’esprit sans prétention ; de galanterie sans amour, dans lequel triomphent les bienséances du monde avec ses délicates atténuations et ses grâces discrètes. Depuis que la monarchie absolue et l’administration régulière ont effacé les derniers vestiges d’indépendance, il n’y a plus d’autre société que celle des salons et de la cour, aristocratie fine et dédaigneuse, marquant à son empreinte toutes les manifestations de la vie intellectuelle ou morale, dont elle est l’unique et suprême école.

Le savoir-vivre fait à chacun une loi d’effacer sa personnalité. Jamais le moi n’a paru plus haïssable qu’au xviie siècle, jamais l’art n’a revêtu un caractère plus objectif. Les genres littéraires les plus florissants sont ceux dont on peut jouir en compagnie, ceux aussi dans lesquels on met le moins de soi-même. Certes Corneille et Racine laissent passer en leurs tragédies quelque chose de leur âme, l’un cette hauteur de sentiments qui lui fournit de si superbes tirades, l’autre cette tendresse délicate et passionnée que nous devinons à travers le voile de figures idéales. Mais, dans cette société classique si discrète et si retenue, le poète dérobe avec pudeur tout ce qui relève de sa personne, il répugne à se livrer en spectacle, et, si nous surprenons çà et là des larmes, il n’en révèle jamais le secret.

On est tout entier aux relations, aux devoirs, aux agréments du monde ; On n’a ni le temps ni le goût de se recueillir, de rêver, de s’isoler dans sa pensée. La vie de salon, si elle développe l’esprit d’observation et d’analyse, rend inhabile à l’énergie passionnée comme à la fantaisie inventive. Lors même qu’on serait accessible à ces profondes émotions du cœur, à ces puissants ébranlements de l’imagination, qui trouvent dans la poésie lyrique leur expression naturelle, on se garderait de faire au public d’indiscrètes confidences. Qu’importent les joies ou les