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LE LYRISME ROMANTIQUE.

dans son style oblique les raffinements inquiets et les maladives tendresses. Par là, il est le premier ancêtre de ceux qui, cinquante ans plus tard, devaient se donner à eux-mêmes le nom de décadents. « On me croit seulement un critique, disait-il vers la fin de sa carrière ; mais je n’ai pas quitté la poésie sans y avoir laissé tout mon aiguillon. »

Si Sainte-Beuve n’a jamais été jeune, Alfred de Musset fut par excellence le poète de la jeunesse. Il fait son entrée une claire chanson aux lèvres, le printemps sur la joue, l’œil, candide et fier, souriant à l’existence, élu du génie et promis à l’amour. Quelle gaieté, quelle fraîcheur d’adolescence ! Quelle turbulente ardeur au plaisir et au scandale ! Arrière les « vieillards décrépits » ! Place à la jeunesse avide, fougueuse, triomphante ! Place à ce poète de dix-huit ans dont le sein palpite aux premiers appels du désir et dont le front se dore aux premiers rayons de la gloire ! Son cœur s’ouvre ; il aime, il souffre, il chante sa peine. Aux volages romances de Chérubin succèdent les accents passionnés de don Juan. Toute onde l’attire, même la plus impure, dans laquelle il croit voir de loin se réfléchir l’idéal dont il est épris. Puis, quand l’amour ne peut plus refleurir sur une tige prématurément séchée, il sent que tous les charmes de la vie se sont évanouis avec le printemps et que le génie lui-même ne survivra pas au pouvoir d’aimer. Douze ans après les pétulantes ardeurs et les grâces cavalières du début, quand sonne l’heure de sa trentième année, il s’assoit le front dans ses mains à sa table de travail et songe au passé dont les souvenirs sont flétris, à l’avenir qui ne lui permet plus l’espérance. Trente ans, c’est pour d’autres l’âge de la maturité vigoureuse et féconde ; pour Chérubin, c’est celui du déclin et de la lassitude, c’est, après quelques tentatives toujours plus rares de se reprendre, une vieillesse précoce, une vieillesse désœuvrée et stérile qui ne s’est réservé aucune œuvre à faire, aucun devoir à accomplir. Tout est fini ; il se résigne à vivre, mais en se désintéressant de la vie ou plutôt en la haïssant. Il assiste à sa propre ruine ; il y tra-